Les cyclones tropicaux font partie des phénomènes météorologiques les plus redoutés par l’Homme. Pourtant, ces machines à détruire de grande envergure risquent de devenir plus nombreuses et plus puissantes avec le réchauffement climatique – du moins dans les grandes lignes. Car si la tendance mondiale est effectivement prévue à la hausse, certaines régions devraient voir leur nombre de cyclones diminuer. C’est le cas de l’Australie, qui n’aurait pas connu une activité cyclonique aussi faible depuis 550 à 1500 ans, d’après l’étude menée par Jordahna Haig et Jonatan Nott de l’université James Cook en Australie, publiée ce 30 janvier dans la revue Nature.
Mesurer les cyclones, une activité récente
Il est monnaie courante d’associer au changement climatique des phénomènes atmosphériques extrêmes plus nombreux et plus violents. Pourtant, le problème semble bien plus complexe qu’il n’y parait : l’impact du réchauffement climatique généré par l’Homme sur les cyclones tropicaux est encore en pleine controverse. Beaucoup de prévisions annoncent une augmentation globale de l’intensité des cyclones, mais sans pour autant être plus nombreux. L’incertitude principale se joue sur la distribution de leur intensité : y aura-t-il une plus grande proportion systèmes tropicaux à atteindre les hauts échelons, ou seront-ils plus nombreux sans pour autant atteindre des intensités exceptionnelles ?
La tâche est rude pour les scientifiques, car les données sur les cyclones tropicaux sont récentes. L’échelle de Saffir-Simpson, qui permet de classifier leur intensité de 1 à 5, est apparue aux États-Unis au début des années 70. La vitesse du vent était alors estimée par rapport aux dégâts observés, puis associée à la pression atmosphérique au centre et à l’intensité de la surcote. Dans le même temps, une technique s’est développée pour évaluer l’intensité des cyclones à partir des images satellites visibles et infrarouge : la technique Dvorak. Celle-ci s’est progressivement améliorée avec le développement des satellites météorologiques, et permet désormais un traitement plus objectif.
Aujourd’hui, si l’Organisation Météorologique Mondiale a mis en place des normes internationales, les pratiques de mesure de l’intensité des cyclones tropicaux restent variées en fonction des bassins. Il existe à ce jour 6 classifications officielles, dont les équivalences peuvent être trompeuses. Par exemple, le système tropical Fletcher qui a atteint hier le golfe de Carpentarie au nord de l’Australie a brièvement été classé en tant que cyclone de catégorie 1 sur l’échelle Australienne, soit des vents moyens de 63 à 88 km/h ; mais sur l’échelle de Saffir-Simpson, il ne s’agirait que d’une tempête tropicale (63 à 118 km/h).
Un double problème se pose alors : non seulement les données sont récentes, mais elles sont variables en fonction de l’époque et de la région. Ainsi, une étude sur les 30 dernières années dans le Pacifique Nord-Ouest montrent des résultats contrastés entre ceux de l’Agence Météorologique Japonaise (JMA) et du Centre Conjoint d’Alerte aux Typhons (JTWC) : alors que la JMA associe l’augmentation de l’activité cyclonique à des systèmes de moyenne intensité plus fréquents, le JTWC lui associe au contraire des cyclones extrêmes plus nombreux. Une étude parue en 2005 dans la revue Science menée par P. J. Webster et G. J. Holland (de l’École des Sciences de la Terre et de l’Atmosphère à Atlanta et du Centre National pour la Recherche Atmosphérique) estime que les cyclones de catégorie 4 et 5 sont devenus bien plus fréquents dans les 35 dernières années sur toute la planète, alors que le nombre total de cyclones a diminué dans tous les bassins excepté l’Atlantique Nord durant les 10 dernières années.
Un nouvel outil pour palier au manque de données

Nombre de cyclones en Australie et proportions de cyclones violents depuis 1970 (source : BoM)
C’est pour palier à ces contraintes encombrantes que l’équipe de chercheurs Australiens a développé un nouvel indice : le CAI (Cyclone Activity Index). En prenant en compte des indices déjà développés par l’Administration Océanique et Atmosphérique Nationale des États-Unis (NOAA), il représente l’énergie moyenne accumulée tout au long de la saison tropicale au sein de la zone étudiée. Sur les deux sites étudiés (la Chaîne du Cap sur la côte Ouest et Chillagoe dans le Queensland), des stalagmites ont été collectées pour analyser les atomes d’oxygène qui y sont piégés. Les cyclones tropicaux provoquant de larges et intenses précipitations qui affectent alors les sols où elles ont lieu, une signature de l’activité cyclonique devient identifiable au sein des stalagmites, de la même façon qu’on peut y identifier les cycles des moussons. L’équipe de recherche a alors pu établir une chronologie de l’activité cyclonique depuis 1500 ans sur la Chaîne du Cap et depuis 700 ans sur Chillagoe, sans extrapoler les données de notre époque sur les cyclones tropicaux.
Les résultats mettent en évidence un déclin de l’activité cyclone depuis 1743 à Chillagoe et 1650 à la Chaîne du Cap, où une chute significative a lieu depuis 1960. Ainsi, l’article conclue sur le fait que l’Australie semble vivre sa phase la plus prononcée d’inactivité cyclonique depuis les 550 à 1500 dernières années. Mais au-delà des résultats trouvés, c’est bien la méthode utilisée qui constitue un avenir prometteur pour analyser l’histoire du climat des cyclones tropicaux. Le CAI pourrait être utilisé dans de nombreuses autres régions, tout en permettant de comparer les données extraites du sol et nos observations modernes des cyclones. Et comme le note l’auteur, l’étude révèle aussi la représentativité très médiocre des cycles des systèmes tropicaux que permet nos mesures modernes. L’enjeu est majeur : si l’on peut remettre les variations de l’activité cyclonique dans un contexte historique plus large, on peut alors mieux appréhender l’impact de l’activité humaine sur les cyclones tropicaux.
Sources : Nature – Australian tropical cyclone activity lower than any time over the past 550-1500 years | Nature – Tropical cyclones and climate change | Scientific Online Letters of the Atmosphere – Variability in Intense Tropical Cyclone Days in the Western North Pacific | American Geophysical Union : Atlantic hurricane trends linked to climate change | Science – Changes in Tropical Cyclone Number, Duration and Intensity in a Warming Environment | Wikipédia : Tropical cyclone scales | Bureau of Meteorology